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La pipe ivre (poème)
+3
J_O_M
Pierrot Gourmand
Jaufré Cantolys
7 participants
Page 1 sur 1
La pipe ivre (poème)
Ma découverte de la pipe et celle de la philosophie sont à peu près contemporaines. Au départ, je ne fumais que pour méditer. J'avais adopté cette maxime (symétrique à celle d'Einstein): "Avant d'allumer une pipe, pose-toi toujours une question". Peu à peu, j'ai appris à fumer ma pipe pour elle-même. Désormais je médite sur la fumée; et celle-ci me tient lieu de pensée. J'ai essayé de traduire cette évolution dans le poème qui suit - qui est une parodie du "Bateau Ivre" d'Arthur Rimbaud (les amateurs en reconnaîtront quelques phrases cultes)
La pipe ivre
Comme je pétunais sur ma pipe, impassible,
Je ne me sentis plus troublé par les clameurs
De la foule criarde aux accents irascibles,
Qui agitait crûment ses drapeaux de couleur.
J’étais insoucieux des bruits et des tapages.
Je sortis de ma blague un vieux mélange anglais,
Et lorsque de mon bol j’eus fini l’allumage,
Les fumées m’ont laissé aller où je voulais.
Suivant de mon regard leurs laiteuses volutes,
J’élevai peu à peu mon âme et mon esprit
Aux falaises d’en haut, célestes et abruptes,
Où planent gypaète, aigles et colibris.
Alors je discernai, en tirant sur ma braise,
Les subtiles Idées dont nous parle Platon,
Dont je ne ferai point la savante exégèse,
Qui repaissent l’esprit mieux que nos rogatons.
Je déambulais sous de lumineux Portiques,
D’une toge vêtu, pareil à un Ancien,
Devisant de logique et de métaphysique,
Au milieu de fumeurs aristotéliciens.
J’ai humé la fumée des guerriers de l’Iliade,
J’ai sacrifié comme eux à mille déités
J’ai parcouru la mer et les six Ennéades,
Et j’y ai entrevu un pan d’éternité.
Je sais tous les tabacs, je sais tous les arômes,
Depuis le pétun blond jusques au perlot noir.
J’ai lu Saint Augustin, et j’ai lu Saint Jérôme :
J’y ai lu quelquefois ce que l’homme a cru voir.
J’ai expérimenté la divine Substance
Au fond des alambics du grave Spinoza.
J’ai goûté, savez-vous, d’incroyables essences,
Et formulé des mots qu’aucun mortel n’osa.
De Kant j’ai contemplé l’innocente colombe,
Ma pensée s’arc-boutant sur l’air blanc et laiteux,
Semblable au pur nuage émergeant de la combe,
Et l’odorant panache au dessus de mon feu.
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
J'avançais victorieux, suçotant d’un pas sûr
La bouffarde plantée dans ma bouche poète,
Ivre de vérité et impatient d’azur.
Mais vrai ! J’ai trop pensé ! Mes idées sont navrantes.
La bruyère, parfois, me laisse un goût amer.
Je veux m’abandonner à l’haleine enivrante
Des embruns iodés de l’écume de mer.
Si je désire un air d’Europe, c’est la brume
Tiède et svelte dans le crépuscule embaumé
Qu’un vieillard accroupi, plein de sagesse fume
Au bord d’un étang calme, en son fourneau flammé.
Poème de Jaufré Cantolys
(photo de Jean Bart)
La pipe ivre
Comme je pétunais sur ma pipe, impassible,
Je ne me sentis plus troublé par les clameurs
De la foule criarde aux accents irascibles,
Qui agitait crûment ses drapeaux de couleur.
J’étais insoucieux des bruits et des tapages.
Je sortis de ma blague un vieux mélange anglais,
Et lorsque de mon bol j’eus fini l’allumage,
Les fumées m’ont laissé aller où je voulais.
Suivant de mon regard leurs laiteuses volutes,
J’élevai peu à peu mon âme et mon esprit
Aux falaises d’en haut, célestes et abruptes,
Où planent gypaète, aigles et colibris.
Alors je discernai, en tirant sur ma braise,
Les subtiles Idées dont nous parle Platon,
Dont je ne ferai point la savante exégèse,
Qui repaissent l’esprit mieux que nos rogatons.
Je déambulais sous de lumineux Portiques,
D’une toge vêtu, pareil à un Ancien,
Devisant de logique et de métaphysique,
Au milieu de fumeurs aristotéliciens.
J’ai humé la fumée des guerriers de l’Iliade,
J’ai sacrifié comme eux à mille déités
J’ai parcouru la mer et les six Ennéades,
Et j’y ai entrevu un pan d’éternité.
Je sais tous les tabacs, je sais tous les arômes,
Depuis le pétun blond jusques au perlot noir.
J’ai lu Saint Augustin, et j’ai lu Saint Jérôme :
J’y ai lu quelquefois ce que l’homme a cru voir.
J’ai expérimenté la divine Substance
Au fond des alambics du grave Spinoza.
J’ai goûté, savez-vous, d’incroyables essences,
Et formulé des mots qu’aucun mortel n’osa.
De Kant j’ai contemplé l’innocente colombe,
Ma pensée s’arc-boutant sur l’air blanc et laiteux,
Semblable au pur nuage émergeant de la combe,
Et l’odorant panache au dessus de mon feu.
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
J'avançais victorieux, suçotant d’un pas sûr
La bouffarde plantée dans ma bouche poète,
Ivre de vérité et impatient d’azur.
Mais vrai ! J’ai trop pensé ! Mes idées sont navrantes.
La bruyère, parfois, me laisse un goût amer.
Je veux m’abandonner à l’haleine enivrante
Des embruns iodés de l’écume de mer.
Si je désire un air d’Europe, c’est la brume
Tiède et svelte dans le crépuscule embaumé
Qu’un vieillard accroupi, plein de sagesse fume
Au bord d’un étang calme, en son fourneau flammé.
Poème de Jaufré Cantolys
(photo de Jean Bart)
Re: La pipe ivre (poème)
Et bien mon cher Jaufré voilà encore un écrit magnifique qui me fait commencer cette journée de manière poétique.
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Suzan hated literature, she'd much prefer to read a good book - Terry Practchett
Pierrot Gourmand- Monument
- Messages : 13920
Date d'inscription : 15/11/2016
Age : 42
Localisation : Troyes
Re: La pipe ivre (poème)
Je trouve ton travail, grâce aux emprunts des expressions originales de Rimbaud, très équilibré. Et la dernière strophe est un vrai morceau de poésie. Je la recopie ici, pour le seul plaisir :
Si je désire un air d’Europe, c’est la brume
Tiède et svelte dans le crépuscule embaumé
Qu’un vieillard accroupi, plein de sagesse fume
Au bord d’un étang calme, en son fourneau flammé.
Bravo, mon cher Jaufré !
Si je désire un air d’Europe, c’est la brume
Tiède et svelte dans le crépuscule embaumé
Qu’un vieillard accroupi, plein de sagesse fume
Au bord d’un étang calme, en son fourneau flammé.
Bravo, mon cher Jaufré !
J_O_M- La bande à Semois
- Messages : 1339
Date d'inscription : 02/02/2018
Age : 45
Localisation : Sud-Ouest
Re: La pipe ivre (poème)
Jaufré Cantolys a écrit:Ma découverte de la pipe et celle de la philosophie sont à peu près contemporaines. Au départ, je ne fumais que pour méditer. J'avais adopté cette maxime (symétrique à celle d'Einstein): "Avant d'allumer une pipe, pose-toi toujours une question". Peu à peu, j'ai appris à fumer ma pipe pour elle-même. Désormais je médite sur la fumée; et celle-ci me tient lieu de pensée. J'ai essayé de traduire cette évolution dans le poème qui suit - qui est une parodie du "Bateau Ivre" d'Arthur Rimbaud (les amateurs en reconnaîtront quelques phrases cultes)
La pipe ivre
Comme je pétunais sur ma pipe, impassible,
Je ne me sentis plus troublé par les clameurs
De la foule criarde aux accents irascibles,
Qui agitait crûment ses drapeaux de couleur.
J’étais insoucieux des bruits et des tapages.
Je sortis de ma blague un vieux mélange anglais,
Et lorsque de mon bol j’eus fini l’allumage,
Les fumées m’ont laissé aller où je voulais.
Suivant de mon regard leurs laiteuses volutes,
J’élevai peu à peu mon âme et mon esprit
Aux falaises d’en haut, célestes et abruptes,
Où planent gypaète, aigles et colibris.
Alors je discernai, en tirant sur ma braise,
Les subtiles Idées dont nous parle Platon,
Dont je ne ferai point la savante exégèse,
Qui repaissent l’esprit mieux que nos rogatons.
Je déambulais sous de lumineux Portiques,
D’une toge vêtu, pareil à un Ancien,
Devisant de logique et de métaphysique,
Au milieu de fumeurs aristotéliciens.
J’ai humé la fumée des guerriers de l’Iliade,
J’ai sacrifié comme eux à mille déités
J’ai parcouru la mer et les six Ennéades,
Et j’y ai entrevu un pan d’éternité.
Je sais tous les tabacs, je sais tous les arômes,
Depuis le pétun blond jusques au perlot noir.
J’ai lu Saint Augustin, et j’ai lu Saint Jérôme :
J’y ai lu quelquefois ce que l’homme a cru voir.
J’ai expérimenté la divine Substance
Au fond des alambics du grave Spinoza.
J’ai goûté, savez-vous, d’incroyables essences,
Et formulé des mots qu’aucun mortel n’osa.
De Kant j’ai contemplé l’innocente colombe,
Ma pensée s’arc-boutant sur l’air blanc et laiteux,
Semblable au pur nuage émergeant de la combe,
Et l’odorant panache au dessus de mon feu.
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
J'avançais victorieux, suçotant d’un pas sûr
La bouffarde plantée dans ma bouche poète,
Ivre de vérité et impatient d’azur.
Mais vrai ! J’ai trop pensé ! Mes idées sont navrantes.
La bruyère, parfois, me laisse un goût amer.
Je veux m’abandonner à l’haleine enivrante
Des embruns iodés de l’écume de mer.
Si je désire un air d’Europe, c’est la brume
Tiède et svelte dans le crépuscule embaumé
Qu’un vieillard accroupi, plein de sagesse fume
Au bord d’un étang calme, en son fourneau flammé.
Poème de Jaufré Cantolys
(photo de Jean Bart)
Alexmann- Les Hauts Fourneaux - Confrère pipier
- Messages : 4723
Date d'inscription : 17/07/2016
Age : 60
Localisation : VIENNE (France)
Re: La pipe ivre (poème)
Quel beau voyage à bord de la goélette 'la bouffarde' du capitaine Arthur !
Bravo Jaufré et merci de partager tes poèmes avec nous c'est très agréable.
Bravo Jaufré et merci de partager tes poèmes avec nous c'est très agréable.
toineg- Habitant récent
- Messages : 222
Date d'inscription : 02/04/2018
la pipe ivre
+1, joli jauffré, désolé pas la tête a cela hier mais dans un calme tous relatif le texte me parle aujourd'hui et je peux dire bis
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araki- Tête connue
- Messages : 1473
Date d'inscription : 06/03/2018
Age : 60
Localisation : Namur et amoureux du travail de Félicien rops
Re: La pipe ivre (poème)
Merci les gars! Vos compliments font chaud au coeur!
Grâce à vous je réalise que la poésie n'est pas destinée qu'à être publiée dans des livres. Elle ne s'adresse pas qu'aux "poètes" et "amateurs de poésie" mais elle s'adresse à tout homme, et elle doit être chantée partout où il y a des hommes (et des femmes) qui vivent une passion - comme sur ce forum par exemple!
Il me revient cette pensée de Giono que j'ai lue autrefois dans L'eau Vive:
"Le poète doit être un professeur d'espérance. A cette seule condition il a droit au pain et au vin à côté de l'homme qui travaille"
(et j'ajoute: ou qui fume la pipe)
Grâce à vous je réalise que la poésie n'est pas destinée qu'à être publiée dans des livres. Elle ne s'adresse pas qu'aux "poètes" et "amateurs de poésie" mais elle s'adresse à tout homme, et elle doit être chantée partout où il y a des hommes (et des femmes) qui vivent une passion - comme sur ce forum par exemple!
Il me revient cette pensée de Giono que j'ai lue autrefois dans L'eau Vive:
"Le poète doit être un professeur d'espérance. A cette seule condition il a droit au pain et au vin à côté de l'homme qui travaille"
(et j'ajoute: ou qui fume la pipe)
La pipe ivre (poème)
et oui " heureux qui comme ulyse…"
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araki- Tête connue
- Messages : 1473
Date d'inscription : 06/03/2018
Age : 60
Localisation : Namur et amoureux du travail de Félicien rops
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