Dictons pipesques

Exégèse: La bruyère fait souche sous forme d’une racine protubérante qu’on nomme broussin, dont on fait les pipes. Une fois la pipe faite, elle sert évidemment à être fumée. Le maniement incessant dont elle fait l’objet (pour la prendre, la bourrer, l’allumer, la fumer, la nettoyer, la reposer) l’empêche de prendre racine. Si elle n’était point fumée et restait bien tranquillement sur son râtelier, on pourrait craindre qu’elle pousse de nouveaux surgeons, qui à leur tour prendraient racine et formeraient un nouveau broussin de bruyère. Cette résurrection (pour la plante) constituerait en fait une mort (pour la pipe). Une pipe vivante est une pipe qu’on fume, crénom! D’où le proverbe : « Bruyère en bouche ne fait jamais souche » qui indique clairement qu'une pipe, pour rester vivante, doit être fumée. Son utilisation peut être généralisée à toutes sortes d’objets, qui se gâtent et dépérissent dès lors qu’ils ne sont plus utilisés : un violon, une guitare, un stylo, un outil... Certains auteurs grivois l’appliquent au membre viril.

Dicton déjà cité plus haut dans ce fil:

Joachim A.Franck, dans son Livre du Fumeur de Pipe, observe que le fumeur de pipe – par rapport au fumeur de cigare – est un gentilhomme taciturne. La raison en est que s’il parle trop, sa pipe s’éteint. De là une méthode pour faire taire les femmes (qui comme on sait sont plus bavardes que les hommes) : plantez-leur une pipe au bec. Plus généralement, ce proverbe peut être utilisé pour désigner tout stratagème visant à calmer les verbiages de sa femme. Par exemple en l’occupant à la cuisine, la couture, le raccommodage de nos chaussettes, etc... Dans tous les cas on pourra dire : « Femme à bouffarde point ne bavarde » (la bouffarde symbolisant de façon générale l’occupation qui l’empêche de commérer)

Epictète disait : "Toute chose a deux anses : l’une par où on peut la porter, l’autre par où on ne peut pas." Le sage est celui qui discerne par où on peut la porter. Mais n’en déplaise à Epictète et toute la philosophie, une pipe – quelle soit en terre ou en bambou - n’a qu’un bout. C’est par là – et par là seulement - qu’on peut la fumer. De l’autre est le fourneau, où se consume la braise : qui l’embouche par là se roussit la moustache. On cite généralement ce proverbe pour couper court aux élucubrations de ceux qui cherchent midi à quatorze heures. Certes la plupart des objets (tels les vases) possèdent deux anses ; la plupart des hommes aussi ; d’où des supputations sans fin. Mais face à un objet aussi simple que la pipe, rien ne sert de tourner autour du pot. On la prend par le bon bout et on la fume. Sagesse qui voudrait aller plus loin ne serait que folie. Une variante de ce dicton, qui m’a été signalée par un ami bourguignon, confirme cette interprétation : « Grenache ou merlot, la bouteille n’a qu’un goulot ».

Expression carnavalesque par excellence - selon la définition donnée par Bakhtine dans son Rabelais - qui consiste dans le renversement des valeurs entre l’inférieur et du supérieur. La hiérarchie entre l’âme et le cul est chamboulée. Dans cette situation, le moins qu’on puisse dire est que l’âme n’y voit plus très clair… (qu’y a-t-il de plus sombre qu’un cul?)

Mais pourquoi diantre la pipe et non la tête ? C’est qu’au lieu de désigner la tête dans son entier, on se réfère à sa partie la plus importante - qui est incontestablement la pipe. Certains pensent que la partie la plus importante de la tête ce sont les yeux, ou la bouche, ou le nez, ou l’âme... Que nenni ! Nous autres bouffardeux, nous savons que c’est la pipe. D’ailleurs ne dit-ton pas « se fendre la pipe » pour « se fendre la gueule » ? Or quand on rit, c’est bien le visage qui est fendu en deux, non la pipe ! Si donc on dit « se fendre la pipe » au lieu de « se fendre la gueule », c’est bien la preuve que ce qu’il y a de plus important dans un visage, c’est la pipe. Et d’ailleurs quand on passe l’arme à gauche, on ne dit pas « casser son âme » : on dit « casser sa pipe. » Quand un sergent distribue des rations à sa compagnie, il les compte « par tête de pipe ». Etc...

De là l’expression: « avoir la pipe dans le cul ».